(BFM Bourse) - Si Facebook a perdu 4,89% lundi à Wall Street, c'est moins lié à la panne géante qui a touché le groupe qu'aux révélations sur ses réticences à reconnaître et remédier aux effets délétères de sa plateforme. Le tableau dressé par Frances Haugen apparaît accablant pour le groupe de Mark Zuckerberg, qui mettrait les profits avant toute autre considération.
Lorsque Frances Haugen, diplômée de Harvard et ayant préalablement travaillé chez Google, Pinterest et d'autres réseaux sociaux, est entrée chez Facebook en 2018 pour développer des outils visant à contrecarrer les risques d'interférence lors d'élections, le groupe fondé par Mark Zuckerberg avait déjà traversé un certain nombre de scandales.
Pourtant, plusieurs fuites de données personnelles, leur utilisation à des fins politiques, des pratiques d'optimisation fiscale et surtout maints scandales liés à la propagation de contenus violents, illicites, incitant à la haine voire à la cruauté envers un groupe d'individus, facilitant le harcèlement, ou au contraire la censure de mouvements politiques d'opposition, n'ont jusqu'ici guère freiné la croissance de ses profits, ni son ascension en Bourse. Par rapport à son introduction à 38 dollars en mai 2012, le titre a été jusqu'à décupler (plus de 380 dollars au sommet historique atteint récemment début septembre).
Présence massive de contenus violents et haineux
Mais il pourrait lui être plus difficile de museler les critiques cette fois, tant le témoignage de Frances Haugen, étayé par de nombreux documents obtenus via le réseau interne Facebook Workplace, contient d'éléments accablants, suggérant que le principe même de susciter "l'engagement" des internautes, conduisant à mettre en avant les contenus les plus partagés, est intrinsèquement nuisible. En effet, Facebook reconnaît dans des documents internes que "la désinformation, la toxicité et les contenus violents sont présents de façon disproportionnée" dans les contenus les plus partagés et valorisés par ses algorithmes.
Affirmant vouloir aider à réformer Facebook, plutôt que de le mettre à bas, Frances Haugen dit avoir débuté sa tâche avec l'espoir d'aider l'entreprise à remédier aux défauts de sa plateforme, mais s'être rapidement aperçue que les moyens accordés aux équipes chargées de veiller au bien-être des utilisateurs n'étaient pas à la hauteur des risques liés à l'usage des réseaux sociaux, notamment psychologiques, qui sont bien documentés. Dans un premier temps, à la tête d'une équipe de quatre autres nouvelles recrues, il lui a été demandé de construire en trois mois un système permettant de détecter des campagnes de diffusion d'informations malveillantes ciblant certaines communautés d'utilisateurs, délai qui lui est apparu illusoire. Au total, le groupe "Civic Integrity team", chargé notamment des questions relatives aux élections, comprenait 200 personnes dans le monde, à comparer à un effectif de 60.000 salariés au total pour le groupe. De même, elle s'est aperçue que les équipes chargées de détecter et combattre l'exploitation des êtres humains (esclavage, prostitution forcée, trafic d'organes) ne comptaient que quelques personnes.
Le 2 décembre 2020, Samidh Chakrabarti, à l'origine de l'équipe Civic Integrity, a annoncé lors d'une téléconférence que Facebook avait décidé de la dissoudre et fait ses adieux à ses collègues (il a quitté l'entreprise en août dernier). Le lendemain, Frances Haugen a pris contact avec le Wall Street Journal, qui publie une longue enquête sur les "Facebook files", puis un groupe d'avocats spécialisés dans le soutien aux lanceurs d'alerte.
Un risque réglementaire de plus en plus fort
Dimanche, son interview à l'émission 60 Minutes sur ViacomCBS a mis sur la place publique les efforts insuffisants de Facebook pour remédier aux effets délétères de son réseau et sa réticence à rendre public ce que l'entreprise avait elle-même constaté - par exemple Facebook savait depuis au moins 2019 qu'Instagram nuisait fortement à l'image qu'ont d'elles-mêmes les adolescentes.
Lundi, la chute du titre a été aggravée par une panne étendue de différents services offerts par le groupe, de Facebook à WhatsApp en passant par Instagram. Le blocage a duré six heures, un laps de temps non négligeable en regard des revenus du groupe : si on reprend les données du deuxième trimestre 2021, la publicité avait généré pour l'ensemble du groupe Facebook 28,58 milliards de dollars de revenus sur trois mois. Soit l'équivalent de 314 millions de dollars par jour, en supposant que les revenus publicitaires soient lissés. Facebook a donc pu perdre potentiellement 78,5 millions de dollars avec une panne de 6 heures, dans l'hypothèse évidemment où les campagnes prévues ne seraient pas rattrapées sur les jours suivants. En tout cas, ces pertes potentielles à elles seules ne peuvent pas justifier la perte de valeur pour le groupe, dont la capitalisation boursière a regressé de près de 47 milliards de dollars lundi pour s'établir à près de 920 milliards de dollars.
En parallèle, Facebook avait déposé lundi une nouvelle motion visant faire rejeter une nouvelle plainte de la Federal Trade Commission, accusant le groupe de pratiques antitrust (un tribunal doit décider d'ici mi-novembre si cette plainte est recevable, auquel cas un procès pourrait débuter). Mais la panne géante a montré le poids considérable des applications appartenant au groupe Facebook sur le marché des messageries et des réseaux sociaux.
C'est donc avant tout le risque d'un changement de réglementation aux Etats-Unis sur les réseaux sociaux qui a fait dévisser le titre. D'ailleurs, les autres titres de réseaux sociaux plus petits ont chuté plus lourdement (-5,8% pour Twitter, -5,7% pour Pinterest et -5,4% pour Snap). Signe que le problème ne concerne pas que Facebook mais l'ensemble des acteurs du secteur. D'autant que les autres géants de la tech, moins exposés à ce risque réglementaire spécifique de régulation des contenus, ont généralement mieux résisté lundi, avec des replis compris entre -2% et -2,8% pour Apple, Microsoft, Alphabet et Amazon.
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