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Marché : Les élections en Turquie sont à haut risque pour la livre turque

samedi 13 mai 2023 à 07h00
Des partisans du président sortant, Recep Tayyip Erodgan, en Turquie fin avril

(BFM Bourse) - Les élections présidentielles et législatives qui ont lieu ce dimanche voient s'affronter deux candidats aux visions diamétralement opposées de la politique monétaire, alors que la devise du pays s'est effondrée avec les taux trop bas face à l'inflation.

C'est un scrutin de tous les risques qui attend Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir en Turquie depuis maintenant 20 ans. Aussi bien les élections législatives que l'élection présidentielle ont lieu dans le pays ce dimanche 14 mai. Pour la première fois depuis son accession à la tête de la Turquie, le chef d'Etat fait face à un rival qui le menace sérieusement, à savoir Kemal Kiliçdaroglu, candidat du Parti républicain du peuple (CHP) et à la tête d'une alliance rassemblant six partis d'opposition.

"Des sondages récents indiquent une course serrée entre le président sortant Erdogan et le leader du CHP Kilicdaroglu, candidat de l'opposition, mais donnent Kiliçdaroglu vainqueur au premier ou au second tour", note Charles-Henry Monchau, directeur des investissements de la banque Syz.

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Sur le plan économique, ce sont deux lignes très différentes qui s'affrontent avec en creux l'avenir d'une devise nationale, la livre turque, laminée par des années de taux trop bas. Recep Tayyip Erdogan a, en effet, mené une politique pour le moins contre-intuitive face à une inflation galopante.

"La devise du pays n’a jamais été aussi faible face au dollar notamment dans un contexte de politique monétaire trop souple, de déséquilibres des comptes courants et d'inquiétudes concernant l'élection présidentielle", souligne ainsi John Plassard de Mirabaud.

Bien qu'en baisse, l'inflation a atteint plus de 44% sur un an en avril, après avoir inscrit un record de plus de 85% en octobre. "Il est possible que l'inflation turque soit bien plus élevée que le disent les chiffres officiels. L'indépendance de Turkstat, l'organisme des statistiques, est très discutable. Et si l'on regarde l'inflation à Istanbul, qui est publiée par la chambre de commerce locale, elle est 20 à 30 points de pourcentage plus élevée que les données officielles nationales", relève Guillaume Tresca, stratégiste senior marchés émergents chez Generali Insurance Asset Management.

Une livre turque en réalité surévaluée

Face à cette envolée vertigineuse de l'inflation, Erdogan s'est obstinément opposé à toute hausse des taux de la banque centrale de Turquie, convaincu que de tels relèvements alimentent l'inflation. La banque centrale turque a ainsi mené une série de baisses de son principal taux directeur, passant de 19% en 2021 à 8,5% depuis fin février. La banque centrale avait alors réduit son taux de 50 points de base (0,5%) à la suite d'un terrible tremblement qui avait provoqué plus de 45.000 morts.

"Ces dernières années, la stratégie de la banque centrale turque a été difficile à lire pour le marché, avec une ingérence forte du politique qui a voulu aller vers la croissance à tout prix. On peut dire qu'elle n'est pas indépendante", résume Guillaume Tresca.

Il en résulte un plongeon de la livre turque. Face au dollar, la monnaie nationale souffre encore cette année, le billet vert s'étant apprécié de 4,4% depuis le début de 2023 face à la livre turque, hausse qui a atteint 28% sur un an. Un dollar vaut aujourd'hui près de 20 livres turques contre 7,6 fin 2020.

Et encore ces baisses récentes masquent une réalité plus complexe. "La dépréciation de la livre turque, ces derniers mois, est en réalité restée contenue au regard des pressions qui sont censées s'exercer sur la monnaie. Pour donner une idée, à l'été 2018 ou fin 2021, la devise avait connu des épisodes de chute de 10-15% sur une seule journée", développe Guillaume Tresca.

"Plusieurs mesures ont été prises pour empêcher un plongeon de la monnaie. La banque centrale de Turquie, même si elle ne le dit pas officiellement, est intervenue régulièrement sur les marchés des changes pour soutenir la devise, ce qui s'est traduit par la fonte massive de ses réserves de changes. En parallèle, des restrictions sur l'utilisation des devises étrangères ont été mises en place pour les entreprises et les particuliers, qui peuvent s'apparenter à une forme légère de contrôle des capitaux", ajoute-t-il.

"Au final, la livre turque est très vraisemblablement surévaluée. Il est difficile de déterminer le cours "juste" de la devise mais on peut penser à un taux de 1 dollar pour 23-24 livres", évalue le stratégiste. "Et pour les investisseurs étrangers il est très difficile de se positionner sur la livre turque", prévient-il.

Vers une nouvelle chute après l'élection?

Face à la politique bien peu conventionnelle de Recep Tayyip Erodgan, Kemal Kiliçdaroglu se pose lui en défenseur d'une politique plus libérale, prônant un retour à l'orthodoxie économique et promettant de restaurer la crédibilité et l'indépendance de la banque centrale du pays. Ce qui, sur le papier, est de nature à enrayer la chute de la livre turque, du moins à moyen terme.

"Une politique monétaire plus crédible et plus dure serait mise en place, et ferait baisser l’inflation. De plus, la banque centrale à l’indépendance retrouvée attirerait des flux de capitaux, ce qui renforcerait la livre turque", estimait ainsi fin mars Swiss Life Asset Managers.

Mais dans les faits, il est à craindre que la devise turque subisse un nouveau coup de bambou après le résultat des élections, quelle que soit leur issue.

"Il est très compliqué d'anticiper les résultats des élections de dimanche et de dresser des hypothèses. Néanmoins il apparaît que la livre turque devrait baisser dans les deux scénarios "centraux" qu'on peut tenter d'esquisser", juge Guillaume Tresca.

"Dans le premier de cas de figure, si Erdogan reste au pouvoir, on peut penser que le dirigeant politique va aller vers une politique économique un peu moins hétérodoxe qu'avant les élections. Il relâcherait un peu les mesures qui empêchent la livre turque de se déprécier fortement, car il a moins intérêt à soutenir la devise qu'avant cette échéance politique. Et la situation sur les réserves de changes de la banque centrale turque est, par ailleurs, difficilement tenable. La devise chuterait donc. Mais on resterait dans une politique très hétérodoxe", développe le stratégiste.

"Maintenant cette hypothèse revient à supposer des décisions rationnelles chez Erdogan, ce qui n'a jamais vraiment marché par le passé", précise-t-il.

Dans le deuxième scénario, Kemal Kiliçdaroglu et l'opposition arriveraient au pouvoir. "Dans ce cas, le candidat a promis de revenir à une politique économique très orthodoxe. Ce qui devrait se traduire par une forte remontée des taux directeurs, à 40% voire 50%", estime Guillaume Tresca. "Dans ce cas de figure, la livre turque chuterait également, tout simplement parce que là encore le relâchement des mesures de soutien à la devise - notamment la contrainte sur les changes – entraînerait une correction. Par ailleurs une devise plus faible est nécessaire pour assainir les déséquilibres macroéconomiques du pays", précise-t-il.

"Pour atténuer cette potentielle baisse, outre les hausses de taux directeurs, il faudra que l'opposition parvienne rapidement à restaurer la crédibilité de la banque centrale en nommant des dirigeants très compétents", ajoute Guillaume Tresca.

Charles-Henri Monchau s'attend, de son côté, à ce que quel que soit le résultat des élections, des politiques monétaires orthodoxes soient mises en place, les jugeant "inévitables". Il estime que la banque centrale turque pourrait remonter ses taux entre 20% et 30%.

"Dans un scénario d’ajustement des déséquilibres et de hausse des taux d’intérêt, la livre pourrait se raffermir et les actifs risqués (actions) pourraient voir leur volatilité augmenter. Même si le marché d’actions turques est très bon marché [avec un ratio P/E de cinq soit des actions qui s'échangent à peine cinq fois les bénéfices, NDLR], une phase de correction est à craindre", prévient-il.

"Les élections présidentielles en Turquie pourraient être un 'game changer' pour le pays et les relations internationales si le gouvernement devait changer. On peut cependant s’attendre à une très forte volatilité quel que soit le vainqueur des élections. À ne surtout pas minimiser", conclut John Plassard.

Julien Marion - ©2025 BFM Bourse
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