(BFM Bourse) - Les opérateurs de marché ont quasiment acté un nouveau cycle d'abaissement des taux de la part de la banque centrale américaine à partir de septembre prochain. Ils tablent également sur des réductions de taux d'un point de pourcentage en cumulé d'ici à un an. Un rythme qui fait sourciller plusieurs bureaux d'études.
Cela a été l'un des grands moteurs de la récente hausse des marchés actions, ces dernières semaines: les anticipations de baisses de taux de la part de la Réserve fédérale américaine (Fed).
Les opérateurs de marché ont nettement rehaussé leurs attentes en la matière. Selon l'outil Fedwatch du CME Group, les investisseurs attribuent actuellement une probabilité de 83,2% à une réduction des taux directeurs d'un quart de point de pourcentage en septembre, chiffre qui est même brièvement monté à 99,8%, la semaine dernière.
À horizon d'un an, les opérateurs de marché estiment que la Fed devrait abaisser ses taux d'un total d'un point de pourcentage.
Plusieurs éléments ont conduit les investisseurs à revoir leurs anticipations. Le dernier rapport sur l'emploi américain, celui du mois de juillet, a été décevant, et surtout le bureau américain du travail et des statistiques a drastiquement abaissé ses précédentes estimations pour mai et juin, avec 258.000 créations de postes en moins.
Ensuite les derniers chiffres de l'inflation américaine, de juillet également, sont globalement ressortis en ligne avec les prévisions des économistes, consolidant les attentes du marché en matière de baisses des taux.
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Les yeux rivés vers Jackson Hole
Enfin les pressions de l'exécutif américain ont aussi pu jouer. La semaine dernière, le secrétaire au Trésor, Scott Bessent, a jugé que la Fed devrait baisser ses taux d'un demi-point de pourcentage le mois prochain. Et de 150 points (1,5 point de pourcentage), à 175 points de base, dans l'absolu.
Rappelons que la Fed a deux objectifs dans son mandat: la stabilité des prix, ce qui se traduit par un objectif d'inflation proche de 2%, et le maintien du plein emploi.
Le marché n'a-t-il toutefois pas mis la charrue avant les bœufs en considérant comme acquis (ou presque) des baisses de taux dès le mois prochain et en tablant sur des réductions cumulées d'un point de pourcentage dans les 12 prochains mois?
Deux évènements pourraient livrer des débuts de réponse cette semaine. Mercredi, la Fed publiera ses "minutes", c'est-à-dire un compte-rendu de sa dernière réunion de politique monétaire. Lors de cette réunion, l'institution avait opté pour le statu quo. Mais deux membres s'étaient opposés à ce verdict, à savoir Christopher Waller, gouverneur de la Fed et l'un des favoris pour succéder à Jerome Powell, le président, en mai prochain, ainsi que Michelle Bowman. Rappelons toutefois que la Fed compte 12 membres votant à chaque réunion.
Le rendez-vous le plus important reste toutefois celui de vendredi, avec l'intervention de Jerome Powell lors du symposium de Jackson Hole, une sorte de grande conférence de banquiers centraux organisée chaque année dans le Wyoming par la Fed.
Les marchés surveilleront si Powell, qui ne cesse de subir les foudres de Donald Trump, livrera des indications sur la prochaine réunion de la Fed, programmée pour les 16 et 17 septembre prochains.
"Tous les regards sont tournés vers le symposium de Jackson Hole, où le président de la Fed, Jerome Powell, pourrait annoncer la reprise imminente du cycle de baisse des taux, donnant ainsi le ton de la politique monétaire américaine pour les mois à venir", souligne ainsi UBS.
Risque de persistance de l'inflation
Mais avant l'intervention de Powell, plusieurs intermédiaires financiers regardent les anticipations du marché sur les baisses de taux avec un œil circonspect.
Si les derniers chiffres de l'inflation aux États-Unis n'ont, donc, pas franchement surpris les économistes, les détails demeurent relativement préoccupants.
"Les chiffres globaux semblent bons, mais suffisamment d'indices de composantes montrent des pressions inflationnistes induites par les droits de douane (c'est-à-dire des variations importantes d'un mois à l'autre) pour qu'on ne puisse pas conclure à une situation d'inflation 'sans danger' à partir de ce rapport", expliquaient les auteurs de la lettre Briefing.com, la semaine dernière.
Par ailleurs, une autre mesure de l'inflation, l'indice des prix à la production, s'est avérée, elle, supérieure aux attentes des économistes, la semaine dernière. Deutsche Bank remarque d'ailleurs que cet indice a atteint un plus haut depuis 2022 et que l'indice des prix à la consommation (mesure "grand public" de l'inflation) a été la plus forte, hors prix énergie et alimentaires, depuis six mois.
"Compte tenu de l'inflation qui est restée pratiquement stable au cours de l'année écoulée, de la répercussion des droits de douane que nous continuons d'anticiper et de l'offre de main-d'œuvre qui maintient le taux de chômage à un niveau historiquement bas, nous pensons toujours que la Fed a de bonnes raisons de maintenir sa politique monétaire inchangée", juge Bank of America. La banque considère d'ailleurs que Jerome Powell risque quelque peu de décevoir le marché, vendredi.
"Il est clair que la persistance de l'inflation reste le plus grand défi à court terme, car elle pourrait facilement empêcher les banques centrales de réduire leurs taux", estime de son côté Deutsche Bank.
"Les contrats à terme anticipent une baisse des taux de la Fed de plus de 100 points de base au cours des 12 prochains mois, même si l'inflation devrait augmenter en raison des droits de douane", pointe-t-elle par ailleurs.
Un taux de chômage qui reste bas
La banque Barclays a, elle, lancé un important avertissement lundi. Dans une note, l'établissement britannique argue que les marchés font fausse route en tablant sur un rythme aussi rapide de baisses des taux de la Fed. "Pas si vite", titre d'ailleurs la banque.
"Les prix du marché suggèrent une baisse d'au moins 25 points de base lors de la réunion de politique monétaire de la Fed de septembre. Cependant, malgré les fortes révisions à la baisse des données sur l'emploi, l'évolution du chômage et de l'inflation ne devrait pas modifier beaucoup la position récente de Powell", explique-t-elle.
La banque considère que la Fed ne baissera ses taux qu'à compter de décembre. Barclays souligne que, malgré les récentes déceptions sur les créations de postes, le taux de chômage aux États-Unis demeure très bas, à 4,2%.
"Nous pensons que les acteurs du marché sont trop confiants quant à une baisse en septembre, car ils interprètent mal à la fois l'évaluation du FOMC (le comité de politique monétaire, NDLR) sur les conditions du marché du travail et sa fonction de réaction. Ils semblent croire que le FOMC souhaite baisser considérablement les taux afin d'empêcher un ralentissement supplémentaire de l'emploi. Cependant, les participants au FOMC semblent divisés sur cette question", développe Barclays.
La banque fait par ailleurs valoir qu'il est difficile de baisser les taux à un moment où l'inflation persiste à des niveaux élevés et où elle risque encore d'accélérer avec l'impact des droits de douane américains. Barclays estime que les surtaxes douanières propulseront l'inflation hors prix alimentaires et de l'énergie à 3,4% au quatrième trimestre (contre 3,1% en juillet) et la maintiendront ensuite au-dessus de 3% tout au long de 2026.
Par ailleurs, Barclays rejoint un récent constat de Powell sur un point critique. Le marché de l'emploi aux États-Unis est en train de ralentir, certes. Mais cette décélération n'est pas tant due à des difficultés conjoncturelles qu'à un "ralentissement de la main-d'œuvre en raison du durcissement des restrictions en matière d'immigration ainsi que du vieillissement de la main-d'œuvre non immigrée". Barclays estime d'ailleurs que le durcissement des règles en matière d'immigration pourrait retrancher 60.000 créations de postes par mois en moyenne cette année.